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Le mot des auteurs

Confronté à des contraintes toujours plus nombreuses et complexes, le génie végétal n’a pourtant cessé de se développer en Europe. Parmi les nombreuses réalisations connues figurent des réussites incontestables sur une grande variété de cours d’eau au régime hydrologique et au fonctionnement écologique des plus diversifiés. Pourtant, que d’occasions ratées où le génie végétal aurait pu satisfaire des objectifs sécuritaires et conservatoires. En lieu et place, certains ouvrages laissent des empreintes écologique et paysagère lourdes. Poids des habitudes, volonté de simplification et déficit de connaissances dans un domaine où la pluridisciplinarité est requise, manque de confiance dans des techniques novatrices, information et formation déficitaires, sont autant de raisons expliquant ce constat mitigé.
 
À une période où les concepts de développement durable, trames vertes et bleues et corridors biologiques conditionnent le développement territorial, le génie végétal constitue un outil incontournable. Il permet à des dispositifs de protection contre les risques naturels d’être, au-delà de simples ouvrages techniques, des aménagements contribuant à la conservation des espèces, la protection du paysage et la qualité de vie des citoyens. Cette multifonctionnalité des ouvrages est une qualité intrinsèque du génie végétal, outil d’avenir pour une gestion globale des cours d’eau et de la biodiversité des milieux aquatiques et riverains.
 
Château d’eau de l’Europe, haut lieu de biodiversité marqué par ses paysages à fort degré de naturalité, les Alpes endossent une responsabilité particulière en ces termes. Or, c’est une des régions où le génie végétal a été peu utilisé. Certes, les conditions hydrauliques, hydrologiques, topographiques ou climatiques souvent extrêmes ont pu dissuader les aspirations novatrices des gestionnaires. Malgré tout, le potentiel d’utilisation a été largement sous-estimé. C’est ce constat qui a rassemblé les différents partenaires du projet Géni’Alp, convaincus des nombreux avantages et potentialités du génie végétal.
 
Conscient de cette lacune, l’information et la promotion ont constitué l’un des deux points forts du projet. Si les chantiers pilotes en constituent la résultante concrète, cet ouvrage en est la synthèse, traitant les multiples facettes du savoir et du savoir-faire de cette science appliquée. Il marque une étape cognitive traitant de manière novatrice plusieurs thèmes liés à la gestion des cours d’eau montagnards et plus particulièrement :
la rédaction de synthèses sur les aspects législatifs, politiques, hydrauliques et techniques propres à la mise en œuvre du génie végétal en régions de montagne ;
la description de cinq aménagements à vocations démonstrative et expérimentale réalisés dans des conditions que l’on peut qualifier « d’extrêmes » sur les six que compte le projet ;
la présentation de travaux comparant l’état de la biodiversité sur différents types d’aménagements végétaux par rapport aux ouvrages de génie civil et aux berges naturelles ;
le premier guide francophone richement illustré présentant, outre les caractéristiques botaniques et écologiques des espèces, leurs aptitudes techniques et leur potentiel d’utilisation pour les aménagements d’altitude.
 
Par son contenu varié et sa portée biogéographique transnationale, cet ouvrage aspire à répondre à une diversité d’attentes et de publics pour que le génie végétal ne demeure pas la préoccupation de quelques spécialistes, mais soit à la portée de tous.
 
Résolument holistique dans sa démarche, son développement et sa mise en œuvre, le génie végétal s’insère néanmoins dans un cadre précis, circonscrit par certains principes et limites physiques. En effet, il demeure clairement subordonné aux possibilités d’attribution d’espaces de mobilité aux cours d’eau, dans la mesure où ces derniers n’interfèrent pas avec la sécurité des biens et des personnes, ainsi qu’aux contraintes mécaniques des contextes torrentiels. Par ailleurs, les capacités de résilience de l’hydrosystème fluvial et la grande complexité des processus en jeu à l’échelle du territoire imposent que sa mise en œuvre et ses impacts soient réfléchis à l’échelle du bassin versant ou, à défaut, d’un tronçon de cours d’eau.
 
Enfin, à l’achèvement de ces lignes demeure la conviction, qu’outre la promotion et la formation qu’il conviendra de poursuivre avec les outils élaborés (chantiers, panneaux, maquettes, plaquettes, livre), il y a encore beaucoup à faire. En effet, une tranche d’altitude entre 1 500 et 2 000 m est encore quasiment vierge de toute réalisation. Si les enjeux peuvent apparaître moindres, n’est-ce pas pour autant le lieu d’implantation de plusieurs centres de sports d’hiver ? Sur le plan botanique, la formation à la reconnaissance hivernale des espèces présentées est à développer auprès des gestionnaires et entreprises réalisatrices, tout comme sur le plan scientifique la connaissance complémentaire de leur écologie, de leur génétique et de leurs aptitudes techniques. Des investigations complémentaires sont en effet nécessaires pour mieux identifier leurs limites de résistance comme celles des techniques utilisées. L’utilisation suppose, enfin, des facilités d’approvisionnement. Or, elles font encore défaut pour plusieurs espèces ligneuses ou herbacées structurantes d’écosystèmes riverains. Le développement de pépinières alpines est un enjeu majeur, tout comme la génétique des populations qui identifiera les contours des principales populations alpines. Du concept à la conception, puis à l’action, et, inversement, de l’action jusqu’au concept, les contributions pragmatiques ou paradigmatiques à apporter sont multiples.
 
En ce début de XXIe siècle, qui dans le domaine de la gestion de la Nature s’annonce être celui de la restauration écologique, parions que le génie végétal ait la même influence que le personnage mythologique ayant inspiré son nom, Genius, « un esprit tutélaire qui présidait à la conception et à la destinée d’un homme ».