Principes d'aménagement des cours d'eau

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2.1.4. Liens entre blocage des berges et dynamique du transport solide

2.1.4.1. Influence des berges sur l’équilibre morphologique du cours d’eau
 
Fig. 8 - Les sapements de berges participent à la recharge sédimentaire des rivières : (a) recul d’une berge sableuse sur la Bruche, en Alsace, par remobilisation de la plaine alluviale ; (b) recharge sédimentaire par sapement d’une berge caillouteuse sur le Bès, dans la Drôme, par remobilisation d’une terrasse Holocène.L’érosion des berges participe à la recharge sédimentaire du lit et donc à son équilibre morphologique (fig. 8). La migration des méandres offre une illustration de ce mécanisme. Le méandre se déplace par érosion de la berge concave, qui alimente un banc de convexité en aval par le dépôt de matériaux et contribue ainsi à construire la plaine alluviale (fig. 9). Une étude récente du bilan sédimentaire d’une rivière alpine en Italie a montré que la recharge sédimentaire en provenance des berges, estimée à partir de photos aériennes et de données LiDAR, pouvait représenter jusqu’à 100 000 m3/an, soit 10 à 20 fois plus que les entrées solides en amont du tronçon étudié (Surian et Cisotto 2007). Une méthodologie similaire a été utilisée sur le Bès, un affluent de la Bléone (Alpes-de-Haute-Provence - France) qui présente un lit en tresses particulièrement bien préservé. L’étude a montré une recharge nette par érosion de berge de l’ordre de 65 000 m3 pour la période 2000-2008, période pendant laquelle les extrêmes hydrologiques n’ont pas dépassé la valeur de période de retour biennale (Genin 2009 – fig. 10).
 
La télédétection par mesure LiDAR, acronyme de l’expression anglaise « Light Detection And Ranging », désigne une technique de mesure optique fondée sur l’émission et la réception d’ondes laser. Elle permet d’obtenir des modèles numériques de terrain de haute résolution sur de vastes étendues spatiales. Elle offre aussi la possibilité de restituer la topographie sous le couvert forestier.
 
Fig. 9 - Mécanisme de déplacement des méandres par sapement de la berge concave et construction de plaine alluviale par dépôt sur la berge convexe.La stabilisation massive des berges peut provoquer un déficit sédimentaire et aggraver une tendance à l’incision du lit (Bravard et al. 1999). Tout projet d’implantation de protection de berge doit donc étudier avec soin l’évolution historique du cours d’eau afin de caractériser précisément son régime sédimentaire. Une étude récente réalisée sur les rivières en tresses du bassin Rhône-Méditerranée a montré un lien statistique entre l’évolution altimétrique séculaire des tresses, étudiée à partir des anciens profils en long, et le linéaire de berges érodables (Liébault et al. 2010). Les berges sont différenciées selon deux modalités (berges érodables et berges stables). Sont considérées comme stables, les berges protégées par des aménagements (digues, enrochements) ou en contact direct avec les versants rocheux. Le linéaire de berge ne répondant pas aux critères de stabilité est considéré comme érodable. Les tresses qui maintiennent un régime sédimentaire en équilibre ou excédentaire sont celles sur lesquelles le potentiel de divagation latérale a été le mieux préservé.
 
Dans le cas des méandres mobiles, l’érosion des berges est le principal moteur de la dynamique morphologique du système. La stabilisation d’un recul de berge peut avoir des répercussions majeures à l’échelle du tronçon fonctionnel. Ainsi, le blocage de la migration d’un méandre peut provoquer une accélération de l’érosion de berge sur le méandre en aval sous l’effet d’une augmentation locale de la capacité érosive de l’écoulement (Larsen et Greco 2002). Si les méandres ont tendance à migrer vers l’aval, ceci peut conduire également à l’empilement des méandres en amont par effet de compression mécanique, ce qui augmente le risque de recoupement (Degoutte 2006 ; Malavoi et Bravard 2010).
 
Fig. 10 - Cartographie de la recharge par sapement de berge sur le Bès (Alpes-de-Haute-Provence - France) entre 2000 et 2008 à partir de la comparaison d’une orthophotographie et d’un levé LiDAR aéroporté (Genin 2009).Il faut enfin souligner que la dynamique morphologique des lits fluviaux est créatrice d’habitats écologiques diversifiés par régénération des annexes fluviales. Elle participe ainsi au bon fonctionnement des écosystèmes de plaine alluviale. La stabilisation des berges peut donc avoir des répercussions sur les communautés vivantes de ces milieux. On peut citer, à titre d’exemple, la réduction des apports en bois mort à la rivière et son impact sur la diversité des habitats aquatiques (Angradi et al. 2004).
 
 
2.1.4.2. Influence de la végétation des berges sur la section transversale du cours d’eau
 
Les cours d’eau et les milieux associés sont particulièrement riches en termes de biodiversité. Les différents aménagements qui sont réalisés peuvent avoir des impacts importants sur ce plan (chap. I.2.2 et II.6).
 
La végétation des berges a une grande influence sur la recharge sédimentaire et sur les profils en long et en plan des cours d’eau. Elle a aussi un impact important sur les profils transversaux. Comme avec le profil longitudinal, il existe une forte relation entre la forme du profil transversal et la structure des ripisylves. Les conditions hydrauliques vont contraindre les ripisylves via des processus d’érosion, de submersion et d’ensevelissement. À son tour, la végétation agit sur la forme du profil transversal :
en ralentissant la vitesse des écoulements à proximité du sol et donc les forces d’arrachement associées ;
en protégeant le sol grâce à l’ancrage et l’armature fournis par les racines ;
en modifiant le microclimat et donc les cycles gel-dégel au niveau du sol (Wynn et Mostaghimi 2006).
 
Le ratio « largeur de plein bord naturelle / profondeur du cours d’eau » est un indicateur de l’activité dynamique d’un cours d’eau. Plus ce rapport est élevé, plus la dynamique d’érosion latérale et la dynamique de transport solide sont importantes. Ce ratio reflète également la cohésion des berges. Plus celle-ci est élevée, plus la largeur du cours d’eau a tendance à être faible et la profondeur importante. Par conséquent, le ratio est faible (Malavoi et Bravard 2010).
 
Tab. 1 - Géométrie de la rivière en fonction de la végétalisation des berges : cas des rivières stables avec un lit de gravier et des berges cohésives (Millar et Quick 1993 ; Degoutte 2006).Plusieurs études ont montré que les cours d’eau végétalisés présentent un ratio « largeur de plein bord / profondeur » plus faible que les cours d’eau non végétalisés. Dans le cas des rivières à graviers, Millar et Quick (1993) ont établi des rapports entre la géométrie des sections transversales de cours d’eau avec et sans végétation sur les berges (tab. 1) qui illustrent l’impact de la végétation sur la tenue des berges. Lorsque les berges sont végétalisées, le lit est moins large et plus profond, et la pente du fond du lit diminue.
 
Ainsi, en fixant les berges et en empêchant l’érosion latérale, la végétation diminue le ratio « largeur/profondeur ». De même, l’augmentation du tirant d’eau provoque une augmentation de la contrainte au fond du lit et favorise son incision.
 
La présence de végétation ligneuse diminue les processus d’érosion latérale et modifie le profil transversal en travers de la section. Les berges cohésives ralentissent la dynamique d’érosion latérale des cours d’eau.
 
Par ailleurs, il a été montré que les berges de cours d’eau végétalisées sont plus raides que les berges non végétalisées. Par conséquent, les végétaux augmentent la résistance au cisaillement de berge et limitent les risques de glissement (Abernethy et Rutherfurd 1998). Cette capacité à améliorer la résistance au glissement a toutefois des limites : elle peut être remise en cause si le fond du lit s’incise et/ou si les arbres, par leur taille excessive, présentent un port déséquilibré.
 
Les végétaux influent également sur le profil transversal des cours d’eau en favorisant et en maintenant les plages de dépôts sédimentaires. Par effet de peigne, les racines superficielles et les tiges favorisent les dépôts sédimentaires en ralentissant les vitesses d’écoulement. Les sédiments sont ainsi piégés et protégés de l’érosion hydraulique. Ces dépôts sédimentaires et les débris piégés par les végétaux vont eux-mêmes diminuer la section d’écoulement en encombrant le lit du cours d’eau.
 
Les végétaux augmentent la rugosité des berges et provoquent une diminution de la vitesse d’écoulement à proximité des berges. La présence de végétaux au sein de la zone d’écoulement lors des crues va aussi diminuer la section transversale et la capacité de transit, ce qui va provoquer une élévation du tirant d’eau. La figure 11 montre la différence de positionnement des isolignes de vitesse sur le profil transversal entre deux sections de cours d’eau, l’une sans végétation et l’autre avec. Les vitesses sont plus faibles à proximité de la berge et plus fortes au centre. Pour un même débit, le tirant d’eau augmente sur un cours d’eau végétalisé.
 
Fig. 11 -  Schéma de l’impact de la végétation sur le champ des vitesses dans l’écoulement (d’après BMLFW dans Donat 1995).