Principes d'aménagement des cours d'eau

2.2.2.1. Les cours d’eau : des zones particulièrement touchées par l’anthropisation
 
D’une manière générale, on estime que deux tiers des zones humides originelles françaises ont été détruites. Dans les Alpes françaises, sur plus de mille kilomètres de rivières en tresses, 53 % ont disparu en 200 ans (Piégay et al. 2009). Si cette disparition a plusieurs explications, les endiguements et rectifications réalisés afin de protéger des zones urbaines et agricoles y jouent un grand rôle. Ainsi, la même étude montre que sur les cours d’eau en tresses disparus en un siècle, 21 % ont été endigués, 48 % ont été canalisés et 5 % se sont retrouvés inclus dans des plans d’eau de barrages. À titre d’exemple, la largeur de l’Arve sur la commune de Cluse (Haute-Savoie) était comprise entre 300 et 500 mètres en 1936, elle n’était plus que de 120 mètres en 1970 pour atteindre 50 mètres en 1984 (Source : SM3A). En 1996, seuls 18 % des cours d’eau des Alpes françaises pouvaient encore être considérés comme des hydrosystèmes sauvages (Pautou et al. 1996). En Suisse, on estime que seuls 54 % des cours d’eau sont dans un état proche de leur état naturel et que plus de 90 % subissent une altération due à l’activité hydroélectrique (EAWAG 2010). La petite massette (Typha minima), espèce alpine se développant dans les zones marécageuses des cours d’eau en tresses, a été très impactée par la chenalisation des cours d’eau alpins. Une étude a ainsi montré que son aire de répartition dans les Alpes s’était réduite de 85 % en un siècle. Elle n’occupe plus que 480 kilomètres de cours d’eau, alors qu’on la rencontrait sur environ 3 170 kilomètres au 19e siècle (Prunier et al. 2010).
 
On s’attachera ici à trois principaux types d’impact anthropique sur la structure physique des cours d’eau de montagne : les travaux de chenalisation, les prélèvements de granulats et les barrages.
 
 
 
2.2.2.2. Les travaux de chenalisation
 
Fig. 20 - Protection de berge en enrochement sur un torrent de montagne.Les travaux de chenalisation englobent les travaux de recalibrage, de rectification de tracé, d’endiguement, de protection de berge et de curage. « Les objectifs hydrauliques visés par les aménagements sont le plus souvent atteints, et cela se traduit par l’accélération de l’écoulement, un surdimensionnement du lit, une réduction de la diversité des mosaïques d’habitats, la disparition des structures d’abris, la réduction des connexions avec le lit majeur » (Wasson et al. 2000). L’accélération des écoulements liée à la chenalisation des cours d’eau entraîne une augmentation des débits de pointe à l’aval et donc une augmentation des effets dévastateurs des crues. Ces travaux ont aussi un lourd impact sur les écosystèmes. La biomasse piscicole peut ainsi être réduite de plus de 80 % après de tels travaux. Ceux-ci sont en effet le plus souvent suivis par la mise en place de seuils pour stabiliser le fond du lit. Le cumul de ces deux facteurs est particulièrement impactant pour les populations piscicoles. La destruction des connexions hydrauliques avec le lit majeur a aussi un impact fort sur la production piscicole en supprimant des zones de refuge, d’alimentation ou de reproduction.
 
Fig. 21 - Comparaison de la confluence des rivières Arve et Giffre entre 1935 et 2004.Dans des zones fortement urbanisées (comme le sont, par exemple, certaines vallées alpines), les ripisylves constituent parfois le dernier corridor écologique disponible pour connecter les écosystèmes situés de part et d’autre des zones urbanisées. Dans ces zones où la pression foncière est forte, l’espace disponible pour les ripisylves est souvent réduit, avec des endiguements et des protections de berge fréquents (fig. 21). Les conditions déjà difficiles pour la circulation de la faune sont parfois encore compliquées par l’existence d’ouvrages linéaires de protection constitués d’enrochements (fig. 20). Ils créent des discontinuités dans les corridors biologiques, avec peu ou pas de caches, de zones refuges pour la faune terrestre, ni de zones d’alimentation. On y observe aussi des températures estivales parfois très élevées et peu favorables à la faune.
 
 
 
2.2.2.3. Les prélèvements de granulats
 
À la chenalisation se sont parfois ajoutées des extractions de granulats. Des extractions d’alluvions (sables, graviers, galets) ont ainsi lieu depuis des décennies sur différents cours d’eau alpins. Sur l’Arve, ce sont 10 à 15 millions de m3 de granulats qui ont été extraits entre 1950 et 1980 ; sur la rivière Drôme, des extractions allant jusqu’à 250 000 m3 par an ont été autorisées de 1950 à 1985 (Landon et al. 1998). Ces prélèvements sont en grande partie responsables d’un enfoncement du lit allant jusqu’à 5 mètres pour la Drôme et 12 mètres sur l’Arve. Celui-ci provoque de nombreuses perturbations tels que la déstabilisation des berges ou le déchaussement d’ouvrages. Il est aussi responsable d’un abaissement du niveau de la nappe et donc de l’assèchement de certaines zones humides ainsi que de l’augmentation des risques concernant l’approvisionnement en eau potable. 
 
En France, de telles extractions sont aujourd’hui interdites en lit mineur et fortement réglementées en lit majeur.
 
 
 
2.2.2.4. Les barrages et les seuils
 
De nombreux barrages à vocation essentiellement hydroélectrique ont été installés sur les cours d’eau alpins. Ils ont un fort impact sur l’hydrologie du cours d’eau, avec une désaisonnalisation du régime originel (stockage de l’eau, soutien d’étiage) et une réduction des débits sortants. 
 
La régulation des régimes de crue par les barrages change le régime hydrologique et réduit le nombre et l’intensité des crues. En conditions naturelles, le régime de crue est à l’origine de perturbations fortes des écosystèmes alluviaux. Ces perturbations récurrentes contribuent à la biodiversité des cours d’eau en maintenant des milieux à différents stades d’évolution, mais aussi en assurant la connexion du lit mineur avec les milieux annexes. Par conséquent, le lissage des crues par les barrages a des effets négatifs non négligeables sur le milieu : il entraîne une perte de l’hétérogénéité des habitats et une diminution de la biodiversité des cours d’eau et de leurs annexes. Ces ouvrages constituent également un obstacle physique à la circulation des organismes aquatiques comme la remontée ou la dévalaison du poisson. Ils entravent le transit sédimentaire, créant ainsi un déficit en matériaux solides à l’aval. De plus, les « chasses », qui servent à évacuer une partie des matériaux stockés dans la retenue, ont un impact important, notamment à cause d’un apport massif de matières en suspension. Enfin, la qualité de l’eau stockée dans la retenue est inférieure à celle du cours d’eau à l’amont (désoxygénation, concentration de polluants, etc.). L’eau rejetée à l’aval provient ainsi généralement des eaux stagnantes et profondes, ce qui est susceptible d’avoir des impacts sur les organismes aquatiques.
 
Ainsi, les différentes formes d’artificialisation des cours d’eau, qu’il s’agisse de la modification de l’hydrologie, du curage, du rescindement de méandres, de la construction de protections de berge ou d’endiguement, ont toutes en commun d’altérer les dynamiques naturelles des écosystèmes et des successions écologiques propres à ces milieux. Ces interventions détruisent également les connexions entre les différents milieux associés aux cours d’eau, fragmentant les habitats et limitant la circulation et le développement de nombreuses populations animales et végétales.
 
De plus, on peut noter que le bois mort dans les cours d’eau, s’il peut être un facteur aggravant de l’érosion et des inondations, constitue très généralement un facteur bénéfique du point de vue écologique en créant des habitats et un apport de matière organique pour les organismes aquatiques. Ainsi, dans certains cas, la biomasse totale de poissons peut être réduite de 30 % par l’enlèvement des embâcles sur un cours d’eau lors de travaux d’entretien systématiques (Wasson et al. 2000).