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4.1.1. Des enjeux hérités de politiques économiques et d’aménagement du territoire…
Les pouvoirs publics et les collectivités gestionnaires de milieux aquatiques doivent aujourd’hui composer avec un « héritage socio-économique » fruit de plusieurs décennies de politiques d’aménagement du territoire au cours desquelles la logique économique a largement prévalu sur la logique environnementale. Les lits majeurs des cours d’eau ont offert des terrains peu coûteux et en apparence faciles à viabiliser pour l’urbanisation et les différentes activités économiques. Ces terrains ont apporté une réelle plus-value économique et financière à leurs acquéreurs en raison de leur faible coût d’achat et de la valeur ajoutée produite par les activités qui y furent installées, parfois très importantes (usines, manufactures, agriculture intensive, etc.).
C’est le cas en zone de montagne et de piémont, où les recalibrages successifs des cours d’eau et la lutte contre les inondations ont permis à la fois le développement de l’agriculture, l’implantation d’infrastructures productives et de transport ainsi que l’urbanisation des fonds de vallées. Ceux-ci, auparavant largement occupées par la rivière, ont ainsi été colonisés par les activités humaines favorisant très fortement le développement économique de territoires autrefois relativement hostiles. En France, à l’exemple de la vallée de l’Arve, les vallées alpines ont connu un essor industriel majeur au cours du 20e siècle notamment. Cela s’est traduit en France comme en Suisse par l’installation de très nombreux ouvrages hydroélectriques et par la canalisation des rivières.
L’implantation d’enjeux au sein du lit majeur des cours d’eau a causé une forte augmentation de la vulnérabilité face au risque d’inondation, et a nécessité la création d’ouvrages hydrauliques comme les digues de protection contre les crues. Or, ces aménagements ont un effet pervers : sensés diminuer le risque, ils n’ont en réalité diminué que l’aléa, avec plus ou moins de succès. Au bilan, le risque a fortement augmenté par le positionnement d’enjeux en arrière des ouvrages, qui a accru la vulnérabilité (Degoutte 2006). Ainsi, les différentes politiques d’aménagement du territoire ont mis en place un cercle vicieux nécessitant toujours davantage de protection contre les inondations et l’érosion des berges afin de protéger des enjeux dont l’implantation en lit majeur est favorisée par un sentiment illusoire de sécurité, lui-même fourni par l’existence des aménagements hydrauliques. Or, ces aménagements nécessitent une gestion, une surveillance et un entretien parfois lourds et coûteux afin d’assurer leur bon fonctionnement et leur pérennité. Celle-ci peut d’ailleurs parfois être remise en cause par un mauvais usage et un mauvais entretien des végétaux sur l’ouvrage (chap. I.4.1.5).
Aujourd’hui, on retrouve ainsi à la fois des zones urbanisées (habitat, zones d’activités, zones industrielles, etc.) et de l’habitat isolé, mais aussi d’importantes infrastructures de transport (routes principales, autoroutes, chemin de fer, etc. – fig. 1). La création de ces enjeux stratégiques ainsi que leur protection nécessitant une quantité importante de matériaux, a conduit au développement de zones d’extraction massive de granulats en lit mineur puis en lit majeur (gravières). Au-delà de la simple préservation de leur intérêt économique, ces gravières, plans d’eau artificiels le plus souvent créés à proximité directe des cours d’eau, constituent désormais un risque environnemental en cas de connexion avec le cours d’eau (piégeage massif des sédiments en transit et aggravation des processus d’érosion).
Par ailleurs, la substitution de zones naturelles ou de pâturage par des terres labourées et cultivées gagnées sur la rivière a également participé, au même titre que l’urbanisation, à augmenter considérablement les valeurs sociale et vénale des fonds de vallées alpines.