Guide des espèces
Les aulnaies blanches sont des formations alluviales post-pionnières de bois tendre. Si elles présentent le plus souvent une forme arborescente, elles peuvent également montrer une physionomie arbustive, notamment dans les premiers stades de leur développement. Les aulnaies blanches sont répandues dans les Alpes du Nord, aux abords des cours supérieurs et moyens des rivières où elles se développent dans le lit majeur sur alluvions caillouteuses, sableuses ou limoneuses filtrantes, inondées seulement lors des hautes eaux (fig. 10). Présentes dès l’étage collinéen, elles montrent un optimum de développement à l’étage montagnard et atteignent la base de l’étage subalpin, ponctuellement jusqu’à 1 900 m.
 
Fig. 10 - Zonation longitudinale des aulnaies blanches de l’étage subalpin inférieur des Alpes internes helvétiques jusqu’aux contreforts préalpins. Inspiré de Zoller (1974).Dominées par l’aulne blanc (Alnus incana), elles comportent régulièrement dans leur strate arborée des saules, tels le saule drapé ou le saule faux daphné, et des espèces préfigurant les stades forestiers non liés à l’influence alluviale, telles que le frêne (Fraxinus excelsior), le sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia), le hêtre (Fagus sylvatica), le sapin (Abies alba), l’épicéa (Picea abies) ou le mélèze (Larix decidua).
 
La nature de la strate herbacée dépend de l’altitude et de la maturité du peuplement. Composée d’espèces herbacées pionnières dans les premiers stades de développement, elle se densifie et évolue progressivement vers la mégaphorbiaie. Le piégeage des particules fines lors des hautes eaux, l’ombrage de la strate arborée et la nitrification induite par les bactéries symbiotiques de l’aulne blanc (Frankia alni) permettent le développement d’espèces d’ombre ou de demi-ombre, mésophiles à mésohygrophiles et nitrophiles. Parmi les espèces les plus caractéristiques du cortège des aulnaies blanches, on compte le chiendent des chiens (Agropyron caninum), la canche cespiteuse (Deschampsia cespitosa), la ronce bleuâtre (Rubus caesius), ainsi que de nombreuses espèces de lisière comme la podagraire (Aegopodium podagraria), le géranium herbe à Robert (Geranium robertianum), la benoîte des villes (Geum urbanum), le houblon (Humulus lupulus) ou diverses espèces nitrophiles comme l’ortie dioïque (Urtica dioica).
 
Sur le plan dynamique, les aulnaies blanches constituent le terme de la succession alluviale sur matériaux grossiers, succédant aux communautés herbacées ripicoles et aux saulaies à saule drapé. L’effacement de l’influence alluviale se matérialise le plus souvent par l’implantation d’une frênaie à l’étage collinéen et, selon le contexte climatique, d’une hêtraie, d’une pessière ou d’un mélézin aux étages montagnard et subalpin. Conservant des traits alluviaux au niveau de leur sol, ces formations ne comportent alors plus d’espèces alluviales typiques.
 
Cinq types d’aulnaies blanches sont décrites, dont l’enchaînement de quatre d’entre elles représente un bel exemple de zonation longitudinale (fig. 10) mis en exergue par Zoller (1974) lors de son travail sur les communautés alluviales de l’Inn en Engadine (Suisse). La zonation s’échelonne de l’étage subalpin inférieur (en situation intra-alpine) à l’étage collinéen supérieur (en situation périalpine).
 
 
Fig. 11 - Aulnaie blanche à prêle d’hiver (Equiseto-Alnetum).2.1.2.1. Aulnaie à prêle d’hiver (Equiseto-Alnetum incanae)
 
L’aulnaie à prêle d’hiver est une formation collinéenne périalpine se développant dans le cours inférieur des rivières (fig. 11). Elle possède un sol riche en particules fines (limons et sables) retenant bien l’eau et permettant le développement d’espèces hygrophiles telles que Caltha palustris, Carex acutiformis, Equisetum hiemale, Phalaris arundinacea, Phragmites communis, Symphytum officinale. La strate arbustive comporte des espèces thermophiles comme l’érable plane (Acer platanoides) ou le chêne pédonculé (Quercus robur).
 
 
2.1.2.2. Aulnaie à calamagrostide bigarée (Calamagrostio-Alnetum incanae)
 
L’aulnaie à calamagrostide bigarée (Calamagrostis varia) est une formation de l’étage montagnard inférieur qui se développe dans le cours moyen des rivières préalpines. Son sol sableux à graveleux, plus grossier que celui de l’aulnaie à prêle d’hiver, ne permet pas le développement de végétaux hygrophiles. La strate herbacée conserve des espèces pionnières telles que l’agrostide stolonifère (Agrostis stolonifera) ou le cirse des champs (Cirsium arvense). Elle est, selon le stade de maturité, plus ou moins riche en espèces mésophiles sensibles aux perturbations et ayant leur optimum de développement au sein des hêtraies (Lamium galeobdolon, Carex digitata, Mercurialis perennis). La coexistence de ces deux cortèges est typique de la strate herbacée de cette association. La strate arbustive comporte des espèces typiquement montagnardes comme le sapin (Abies alba), l’orme de montagne (Ulmus glabra) ou le saule appendiculé (Salix appendiculata).
 
 
Fig. 12 - Aulnaie à violette à deux fleurs (Violo-Alnetum).2.1.2.3. Aulnaie à violette à deux fleurs (Violo-Alnetum incanae)
 
L’aulnaie à violette à deux fleurs (Viola biflora) est une formation intra-alpine fréquente à l’étage montagnard supérieur (fig. 12). Le substrat, sableux à graveleux, est analogue à celui de l’aulnaie à calamagrostide. La strate herbacée est marquée par la coexistence d’espèces pionnières tels l’agrostide stolonifère, le cirse des champs, le tussilage (Tussilago farfara) et d’espèces de mégaphorbiaies comme le séneçon ovale (Senecio ovatus) ou le chardon bardane (Carduus personata). Leur développement à l’ombre des aulnes est possible grâce au microclimat plus froid que celui de l’aulnaie à calamagrostide. La strate arbustive est composée d’espèces typiquement montagnardes (chap. III.2.1.2.3) auxquelles s’adjoignent régulièrement le saule alpestre (Salix myrsinifolia subsp. alpicola) et l’épicéa.
 
Le saule alpestre (S. myrsinifolia subsp. alpicola) forme parfois des communautés denses constituant le manteau des aulnaies blanches montagnardes et subalpines (Salicetum alpicolae). Tolérant bien l’ombrage et le froid, ce taxon peu connu présente un intérêt tout particulier pour une implantation dans les stations à fortes contraintes thermiques.
 
 
Fig. 13 - Aulnaie blanche à saule laurier (Alno-Salicetum pentandrae).2.1.2.4. Aulnaie à saule laurier (Alno-Salicetum pentandrae)
 
L’aulnaie à saule laurier est une formation subalpine rare, recensée ponctuellement au sein des Alpes du Nord occidentales dans le haut Valais à Gletsch et dans le val d’Hérens (Steiger 2010), ainsi qu’en Savoie à Bessans. La strate arborée, pouvant atteindre près de 15 m dans les situations les plus favorables (fig. 13), est co-dominée par l’aulne blanc et le saule laurier (Salix pentandra). Le sol, constitué de matériaux fins à plus ou moins grossiers, est constamment alimenté par la nappe. La strate herbacée est également luxuriante, comptant de nombreuses espèces des mégaphorbiaies montagnardes et subalpines telles l’impératoire (Peucedanum ostruthium) ou l’adénostyle à feuilles d’alliaire (Adenostyles alliariae).
 
 
Fig. 14 - Sous-bois luxuriant d’une aulnaie à érables (Aceri-Alnetum incanae) composé d’espèces de mégaphorbiaies.2.1.2.5. Aulnaie à érables (Aceri-Alnetum incanae)
 
L’aulnaie à érable est une formation analogue à l’aulnaie à violette à deux fleurs. Elle se développe aux mêmes altitudes mais dans des contextes non spécifiquement alluviaux, sur cônes de déjections, marnes, flyschs ou ardoises instables. Outre l’aulne blanc, la strate arborée est composée de l’érable sycomore (Acer pseudoplatanus) et de l’épicéa (Picea abies). La strate herbacée est marquée par un développement luxuriant des espèces de mégaphorbiaies (fig. 14).
 
Outre les saules, plusieurs espèces ligneuses accompagnant l’aulne blanc, telles l’érable sycomore, le frêne, le sorbier des oiseleurs, sont déjà utilisées en génie végétal (chap. III.4).
 
La composition de la strate herbacée des aulnaies blanches est variable. Les stades les plus jeunes sont marqués par la rémanence des taxons pionniers, dont certains xérophiles ont leur optimum dans les saulaies à saule drapé. Elle incite par ailleurs à l’utilisation d’espèces de mégaphorbiaies (adénostyle à feuilles d’alliaire, épilobe à feuilles étroites et grandes ombellifères) en pied de berge sur matériaux fins, notamment en situation confinée. Fortement couvrantes, résistantes aux passages des crues lors des hautes eaux, présentant un pivot profondément ancré ou un treillis de rhizomes, ces espèces peuvent constituer des auxiliaires d’intérêt (chap. III.5), complémentaires aux espèces pionnières xérophiles des saulaies à saule drapé tolérant la xéricité et la pauvreté nutritive des hauts de berges.